Criminalisation
– États des lieux
Au Canada, une personne vivant avec le VIH peut être reconnue coupable d’une infraction criminelle pour ne pas avoir dévoilé son statut sérologique à un·e partenaire sexuel·le et ce, peu importe qu’il y ait eu transmission du VIH ou non, et peu importe qu’elle ait eu l’intention de transmettre le virus ou non. Le seul élément pris en compte est le niveau de risque de transmission présent au moment du rapport sexuel.
En 2012, la Cour suprême du Canada a établi qu’une personne vivant avec le VIH a l’obligation de dévoiler sa séropositivité à ses partenaires avant un rapport sexuel qui comporte une « possibilité réaliste de transmission du VIH » (R. c. Mabior, 2012 CSC 47 et R. c. D.C., 2012 CSC 48).
Selon la Cour, il n’y a pas de « possibilité réaliste de transmission du VIH » lors d’une relation sexuelle si un condom est utilisé et que la personne vivant avec le VIH a une charge virale faible (inférieure à 1500 copies/ml).
Pendant longtemps, seule la combinaison de ces deux critères (condom et charge virale faible) était interprétée comme pouvant prévenir une « possibilité réaliste de transmission du VIH » et éviter une poursuite en non-divulgation. Cette interprétation n’est cependant pas conforme aux données scientifiques. Conséquemment, plusieurs personnes vivant avec le VIH ont été accusées, voire condamnées, même lorsque le risque de transmission du VIH était scientifiquement faible ou inexistant. Poursuivre des personnes vivant avec le VIH lorsqu’il n’y a pas de transmission, pas d’intention de nuire et lorsque le risque de transmission est faible ou inexistant, cela équivaut à les poursuivre simplement parce qu’elles sont séropositives.
Les personnes vivant avec le VIH qui ne dévoilent pas leur statut sérologique à leur partenaire sont souvent accusées d’« agression sexuelle grave », et ce, même si leur partenaire consentait au rapport sexuel au moment des faits. On assimile ainsi le fait de ne pas divulguer son statut sérologique à son ou sa partenaire à celui d’agresser sexuellement une personne, alors qu’il s’agit de deux choses totalement différentes. Une personne reconnue coupable d’agression sexuelle ou d’agression sexuelle grave risque de lourdes peines d’emprisonnement et sera également inscrite au registre des délinquant·es sexuel·les.
Dans sa politique générale sur la criminalisation de la transmission du VIH publiée en août 2008, l’ONUSIDA souligne l’absence de données indiquant qu’une utilisation du droit criminel permet d’atteindre des objectifs de justice et de prévention de transmission du VIH. En effet, l’ONUSIDA souligne qu’il « n’existe aucune donnée attestant que la menace de sanctions pénales génère un changement ou a un effet dissuasif au niveau de comportements complexes ayant trait aux relations sexuelles ou à la consommation de drogues pouvant entraîner la transmission du VIH ». Elle précise au contraire que « le recours au droit criminel, au-delà des cas de transmission intentionnels, pourrait en réalité saper les vrais efforts de prévention du VIH ».
La science a évolué depuis le début de l’épidémie : les personnes vivant avec le VIH peuvent maintenant vivre et être actives dans la société au même titre que toute autre personne. Elles peuvent aussi avoir des vies sexuelles épanouies sans transmettre le VIH à leurs partenaires. Le droit criminel canadien met toutefois du temps à reconnaître ces avancées scientifiques, de sorte que le Canada a longtemps été l’un des pays avec le plus haut nombre de poursuites contre les personnes vivant avec le VIH.
Des développements récents sont toutefois encourageants. Des juges, décideur·es, élu·es et procureur·es comprennent désormais qu’une « possibilité réaliste de transmission du VIH » peut être influencée par plusieurs facteurs autres que ceux qui sont décrits dans les décisions de la Cour suprême. L’application du droit à l’égard de la non-divulgation varie désormais d’une province à l’autre en raison de politiques, directives ou décisions judiciaires variées. Cette incohérence est un défi pour les personnes vivant avec le VIH qui cherchent à composer avec l’obligation légale de divulgation.
Au Québec, les autorités compétentes considèrent qu’il n’y a pas de « possibilité réaliste de transmission du VIH » lorsqu’un condom est utilisé et que la personne vivant avec le VIH a une charge virale faible (moins de 1500 copies/ml). Depuis 2019, elles considèrent aussi qu’il n’y a pas de « possibilité réaliste de transmission du VIH » lorsqu’une personne vivant avec le VIH suit son traitement antirétroviral comme prescrit, que sa charge virale se maintient à moins de 200 copies/ml et que cette charge virale est mesurée tous les quatre à six mois (MSCC, « L’effet du traitement des personnes vivant avec le VIH sur le risque de transmission sexuelle de l’infection », position ministérielle, octobre 2018; DPCP, « Position institutionnelle concernant les poursuites criminelles en matière d’exposition au VIH et de non-divulgation de la séropositivité », mars 2019).
– Actions de la COCQ-SIDA
Lors du forum « Entre nous » de 2007, l’un des plus grands rassemblements de personnes vivant avec le VIH au Québec, les participant·es ont demandé à la COCQ-SIDA de parler en leur nom et lui ont donné le mandat d’agir sur la question de la criminalisation de l’exposition au VIH.
Depuis, la COCQ-SIDA mène les actions suivantes :
- Sollicitation des autorités gouvernementales pour que soient adoptées des orientations et directives encadrant le travail des procureurs de la Couronne
- Sollicitation des ministres de la Justice et de la Santé pour que les juges et procureurs de la Couronne reçoivent de la formation sur le VIH/sida
- Formations pour les avocat·es de la défense
- Création et participation à des comités et groupes de travail provinciaux sur la question de la criminalisation du VIH, incluant le Groupe de travail sur la criminalisation de l’exposition au VIH.
- Interventions devant les tribunaux afin de limiter l’application du droit criminel dans les cas de non-divulgation du statut sérologique au VIH
- Interventions dans les médias
- Participation aux travaux et activités de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH
- Témoignage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (2019)
- Soumission d’un mémoire auprès du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes (2019)
- Soumission d’un mémoire auprès de la Commission internationale des juristes (2019)
- Soumission d’un mémoire et participation au Global Dialogue 2018 de la Commission mondiale sur le droit et le VIH (2018)
- Soumission d’un mémoire auprès du Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental possible (2018)
- Adoption d’un énoncé de position sur la criminalisation de l’exposition au VIH (2013)
- Soumission d’un rapport à la Commission mondiale sur le droit et le VIH (2011)
Pour en savoir plus sur la criminalisation de l’exposition au VIH
Énoncés de position
- Déclaration de consensus communautaire de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (2022)
- Déclaration de consensus d’experts sur la connaissance scientifique relative au VIH dans le contexte du droit pénal (2018)
- Déclaration de consensus communautaire de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (2017)
- Déclaration de la ministre de la Justice du Canada (2017)
- Déclaration de la ministre de la Justice du Canada (2016)
- Énoncé de consensus canadien sur le VIH et sa transmission dans le contexte du droit criminel (2014)
- Position de la COCQ-SIDA (2013)
- Énoncé de politique de l’ONUSIDA sur la criminalisation de la transmission du VIH (2008)
Documents d’information
- Orientations pour les procureurs sur les affaires pénales liées au VIH, Programme des Nations unies pour le développement (2021)
- Criminalisation du VIH – Fiche d’information sur les droits humains, ONUSIDA, 2021
- Capsule VIH info droits : Criminalisation de la non-divulgation du statut sérologique au VIH, COCQ-SIDA (2021)
- Faire face à la criminalisation de l’exposition au VIH ou de sa transmission : Ressources pour avocats et militants, Réseau juridique VIH (2020)
- La criminalisation de la non-divulgation du VIH au Canada : situation actuelle et besoin de changement, Réseau juridique VIH (2019)
- Risques, droit et santé, rapport de la Commission sur le VIH et le droit (2012) et son supplément (2018)
- Réponse du système de justice pénale à la non-divulgation de la séropositivité, Justice Canada (2017)
- La criminalisation du VIH au Canada : tendances clés et particularités, Réseau juridique VIH (2017)
- La divulgation du VIH et le droit : une trousse de ressources pour les fournisseurs de services, Réseau juridique VIH (2012-2017)
- Que signifie réellement « consentir »? Repenser la non-divulgation du VIH et l’agression sexuelle, Réseau juridique VIH (2016)
- Femmes et séropositives : Dénonçons l’injustice : un documentaire réalisé par le Réseau juridique VIH dans lequel sont explorés les sentiments et les réflexions de quatre femmes séropositives qui témoignent courageusement sur le problème de la criminalisation de la non-divulgation du VIH au Canada (2012)
- Criminels et victimes? L’impact de la criminalisation du non dévoilement du statut VIH sur les communautés africaines, caraïbéennes et noires de l’Ontario, Conseil des Africains et Caraïbéens sur le VIH/sida en Ontario (2010)
- 10 Reasons Why Criminalization of HIV Exposure or Transmission Harms Women, Athena Network (2009, anglais seulement)
- Dix raisons de s’opposer à la criminalisation de l’exposition au VIH ou de sa transmission, Open Society Institute (2008)
- Boîte à outils sur la criminalisation du VIH, HIV Justice Worldwide
Pétition internationale
- Déclaration d’Oslo sur la criminalisation du VIH.
Sites web
- Réseau juridique VIH
- Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH
- ONUSIDA
- HIV Justice Worldwide
Pour plus d’informations, contactez notre service d’information juridique VIH Info-Droits.